![]() Mémoire écrite, illustrée, méditée et stylisée Exposition organisée par Gallery Kent Tanger, octobre 2021
Les textes de Chaui sautent du papier de ses uvres à la toile où la peinture se libère, inquiète, intime et très personnelle. Dans le trait calligraphique de ces textes et dans leurs entrelacs, les questions énigmatiques sur les textures et les gestes des couleurs trouvent refuge, communiquant les connotations les plus diverses. Les carnets illustrés par López Garcia ont été de fidèles compagnons de son long parcours et de sa carrière académique, et pourtant, jusquà aujourdhui, sa facette de dessinateur reste la plus méconnue de ses compétences. Ses dessins sont des confessions intimes encodées autour de lorientalisme, de larabisme, du Maroc et du Maghreb... Lexposition de ses dessins portera tout particulièrement sur la vision du monde de Tanger. La série de Prentice sur les horizons, où toujours le ciel rejoint la terre ou la mer. Et où linterdépendance définit la lumière et donc les couleurs. Qui fait fondre la couleur dans le papier, elle nous donne la sensation de nous évader pour voler et « nous perdre dans linfini de lespace... » Messari aborde dans cette exposition la mémoire de
lenfance, la littérature dune époque, naviguant
à travers de son iconographie, à la recherche didentités
qui depuis le présent renomment les souvenirs les plus anciens.
Toutes les uvres qui composent cette exposition ont été
confectionnées de manière artisanale avec du papier fabriqué
par lauteur lui-même. Les techniques de lestampage et
de la sculpture sy rejoignent, totalement soumises à la recherche
et à linnovation. Chercher à percer linvisible, et tenter dévoquer lindicible Cest ce que se propose Gallery Kent avec lexposition Mémoire écrite, illustrée, méditée et stylisée, organisée dans le cadre de la troisième édition du Parcours des arts, événement orchestré à travers toute la ville par lInstitut français de Tanger. Du 1er au 31 octobre, Gallery Kent présentera les uvres de Saïd Messari, entouré de ses amis Bernabé López Garcia et Abdelkader Chaoui, rejoints par Elena Prentice : quatre artistes venant dhorizons pour le moins divers, qui permettront de célébrer linternationalité pérenne de la cité du détroit. Saïd Messari nous offre une vision du monde décidée à se défaire des contingences de la matérialité, sauf à la transcender. Le plasticien tétouanais, qui vit depuis de très nombreuses années à Madrid, où il a pu trouver toute la reconnaissance à laquelle un artiste peut aspirer, safficherait comme lalter ego de notre sculptrice tangéroise Itaf Benjelloun. Les deux créateurs fréquentent les mêmes fantômes et possèdent le même talent pour sen aller explorer les radicelles de la mémoire comme celles de loubli. Tous deux travaillent sur un même processus de la disparition du monde et, peut-être, éventuellement, sur celui encore de sa réapparition. Car ils donnent à dévoiler de la même façon quils créent le voile. Un art de lévanescence, qui trouve échos dans les uvres sur la déliquescence et la finitude du plasticien soufi dAssilah, Khalil El Ghrib. Quand ce dernier traite de la décrépitude et de la désagrégation du monde et des hommes, adresse prophétique quil répète depuis les origines de son art, nous rapportant les reliques quil a cueillies dans les rues et sur les murs de la médina de sa petite ville, Saïd Messari serait plutôt tenté darrêter le temps et dinstaller le monde dans un suspens, une attente, sous cloche et dans la protection dune coque ou dune couche de gypse. Il fait uvre de mémoire, à perpétuité. Son univers est pris dans une blancheur qui serait un signe de pureté et dabsolue neutralité, et celui dune absence despace et de temps. Ses uvres circulaires, comme autant de médaillons, dessinent des bulles de non-être, dextraction de lêtre des choses pour nen dire que lessence, où toute temporalité - et donc toute existence - serait effacée. Des bulles dessentialité, de la même façon que les fantômes sont ce qui reste de lâme en peine quand lêtre aimé a disparu. Les profils que nous présente lartiste, quelle que soit la matérialité quils évoquent, défilent comme ceux des enfants sur un manège ou ceux de détenus à la promenade : la ronde annonce la répétition et son éternité. Différemment, ces profils dessinés dun trait évoquent indiscutablement ceux des camées, sculptés dans la sardoine ou une coquille, de la même façon que lon effeuille un palimpseste, que lon époussette des restes de terre sur le chantier dune fouille archéologique, que lon épluche un fruit défendu : en demeurant à la quête du cur des choses aussi bien que de leur mémoire. Ses tondi constituent les blasons dune étrange héraldique, où les salamandres, qui défient le feu, traversent des mappemondes imaginaires ou des textes sacrés déconstruits. Ces camées, de ceux que lon garde contre le cur, ramènent celui qui les regarde au souvenir du profil de tout être aimé : Saïd Messari sculpte les bas-reliefs dun monde pour nous en rendre le sentiment, la délicatesse, sorte de biscuits dune précieuse porcelaine immaculée, modelés pour nous remémorer la valeur et la sacralité. Le plasticien sait conférer au monde tout son poids en trésors invisibles. Nous connaissions Bernabé López Garcia pour le sérieux de ses publications et de ses recherches à lUniversité autonome de Madrid, où il fut professeur jusquà sa récente retraite. Politologue spécialiste du Monde arabe et des migrations, il nous offre, à loccasion de ce Parcours des arts, un accès à lintimité de ses carnets de notes et de dessins, dans lesquels Tanger sillustre pour le moins abondamment et avec virtuosité. Depuis de nombreuses années, Bernabé López Garcia tient ce journal desquisses et dobservations, constituant une impressionnante série de carnets, dont les nombreux volumes, maintenant archivés et numérotés, occupent un rayonnage entier de sa bibliothèque. Lintellectuel né à Grenade a ainsi composé un véritable trésor. Là où le chercheur se doit datteindre luniversalité du fait reconnu, quantifié et rapporté dune façon aussi scientifique quil se peut, le diariste et le dessinateur exécutent un travail tout en subjectivité et en légèreté, qui interroge la contingence et la nonchalance, la délicatesse et la fluidité du temps, lindicibilité de linvisible. Un auteur de carnets de voyage est toujours un aventurier et un poète. Par cette uvre intime, presque dintériorité, Bernabé López Garcia rend encore clairement hommage à lacuité du Delacroix de lambassade de Mornaix. À laune de ce magistral prédécesseur, il atteint lexigence et lénergie dont ont pu faire preuve dautres illustrateurs, eux-aussi passés par Tanger, de Pierre Le Tan, dont la sagacité a si bien saisi la geste mondaine et les ridicules de la décadence tangéroise, à Patrick Martin, dont le regard sait définitivement capter lâme des urbanités pittoresques, en passant par lélégance de Joël Alessandra, dont le coup de crayon et les aplats daquarelle font montre dune superbe et rare maîtrise. Bernabé López Garcia, tangérophile averti de longue date a, quant à lui, su pénétrer quelque chose de lâme de la ville que peu dartistes ont pu rapporter : une transparence de lair, qui sans doute produit toute la singularité de cette fameuse lumière sur le détroit, et que notre dessinateur a capté et traduit grâce à la simplicité nerveuse de son trait. Un regard qui, sans doute involontairement, éthérise laltérité, la défait de tout son poids et de la tentation du trait appuyé. Lillustrateur voyageant est tout sauf un caricaturiste. Comme nombre de ses pairs, Bernabé López Garcia élève lart de lesquisse à celui dun humanisme. Avec ses uvres récentes, Elena Prentice atteint des sommets
en matière daérianité. Au cours des années
quatre-vingt-dix, par une forme de pointillisme abstrait et radical quelle
produisait alors, au travers duquel elle nous offrait à contempler
de grandes toiles représentant une pure lumière rendue par
des points seulement, comme une pixellisation de la représentation
pour la représentation elle-même, lactiviste culturelle
américaine nous avait déjà acculés à
de profondes interrogations : chacune de ses uvre nous ramenait
à un fragment, à une pièce, au fameux centimètre
carré dune toile de Georges Seurat ou de Paul Signac, considérablement
grossi, passé à la loupe dune forme de télescope
Hubble de lesthétique, le regard du peintre et sa prolongation
dans le pinceau, rendu au monde pour ce quil est : un focalisation
sur la pure peinture. Après cette expérience extrême
déthérisation, Elena Prentice sen est allée
à la recherche dune matérialité inqualifiable,
celle des marbrures dune forme de papier à la cuve, où
par ses jaspures elle se permettait sa réponse à la célèbre
coulure qui orne depuis quelques décennies maintenant les bouquets
et les forêts de Cy Twombly : une façon honorable dêtre
de son temps et dun citationnisme aux bonnes distances ; face
à ces larmes de la peinture, lartiste américaine répondait
par labrupte lapidaire de ses moirures, par un vertige de la mémoire
nous ramenant à la couverture de nos livres reliés
anciens et du travail de la main, de lartisan. La réponse
de Tanger à Rome, de Boston à la Virginie ! Il sagissait
pour elle de dévoiler linvisibilité de ce que lon
ne connaît que trop ; peut-être aussi de célébrer
la beauté du geste que lon ne maîtrise pas et qui laisse
sa part au hasard ; mais encore de célébrer un hommage
au papier en tant que support, dont la poétique hante le goût
des plus littéraires entre les amateurs dart : cercle
dont se revendique lartiste-éditrice. Aujourdhui, quelques
années après ce travail de marbrures, revenant à
sa façon de vouloir percer les brouillards du pointillisme, Elena
Prentice regarde vers le ciel, comme à la recherche si ce nest
dune réponse, au moins dune conscience, sans doute
ce qui fait le plus défaut à notre époque. Elle dresse
ainsi de pleines toiles nuageuses où, à la façon
du récent travail de Damien Hirst avec ces cerisiers en fleurs,
elle observe le vide, en rend les contours et tente de le faire parler.
Y aurait-il un Dieu derrière ces nébulosités ?
À chacun dy trouver ce quil veut, bien évidemment,
et cest là que son art saffirmera farouchement notre
contemporain. Certains y découvriront encore la beauté de
la lumière pour elle-même, dautres celle de ses ombres,
dautres encore un sobre hommage au lyrisme de Rubens, ou pour les
plus intrépides un clin dil vers lénergie
du geste du Tintoret... Il y a, dans cette quête à travers
linvisible et de linvisible lui-même, le monde. Le monde
entier. Et ses revers.
Ici, « intérieur » désigne les
images prises dans le récit biographique ; « extérieur »,
celles qui restent en dehors du récit, soit en attente, soit autres. Dans « Mémoire », Elena Prentice, Bernabé Lopez Garcia, Abdelkader Chaoui et Saïd Messari, prenant le parti pris de rencontres et de croisements, dessinent, au présent, les matériaux dune matière toujours aux frontières mobiles dun entre-deux, dune interzone : dedans-dehors, mémoire-oubli, qui, - nen déplaisent aux mémoires (de l)absolu(es)-, sentête, malgré tout, à ne pas soublier. Entre Ciel, Terre et Vent (Elena Prentice), Tanger, Livres, Actualité et Delacroix (Bernabé Lopez Garcia), Calligraphie, Rosace et Portraits dAnonymes Célèbres, (Abdelkader Chaoui), Objets, Mots, et « Recettes de mémoire » (Saïd Messari), sénonce, mêmement-différemment, létat dune « peinture (qui) fait et ne fait pas système et se donne ainsi des chances de souvrir à dautres, à de nouvelles formes de culture et de pensée » (Marcelin Pleynet). Un « faire système » et « faire
(non)-système » qui renvoie, ici, à un acte de
partage entre Intérieur : formes, couleurs prises dans une
« grammaire » perspectiviste ou non, et Extérieur :
lieux, micro-événements, objets, biographèmes
.etc. Les
matériaux dune interzone improbable, expérimentale
où se joue le devenir dune matière mémoire
singulière et plurielle, fruit et catalyseur dune incessante
et insatiable logique de composition : « Tableau »
veillant de près sur son autonomie mais nallant pas sans
un effet décart, de poussée hors de lui-même,
trace dun logique de construction, restant, elle, travail dun
montage visuel et manuel car opérant sélection, prélèvement
et agencement de matériaux hétéroclites : trauma,
héritage, présent, amnésie, enfance
associés
en vertu dune grammaire faite successions, substitutions et
simultanéités. Du systémique et (non)-systémique en
cohabitation sous hautes tensions à lintérieur-extérieur
de quatre micro-fabriques où tout se « bricole »,
se cherche, se bâtit en un mi-lieu où, force indomptable,
irrépressible, la part doubli reste, malgré tout,
aussi vivace et revigorante que celle du souvenir. Ce sont de fines surimpressions couleurs pastel jamais dégagées hors et loin dune matière faite avancée, poussée vers un haut-bas ruinant, sans merci, toute fixité nommée Tableau. Tout se dilue, sévapore ici en cinétisme couleurs et, par moment, noir et blanc. Désir deffleurer, caresser la texture dune matière épaisse autant quévanescente, florale, aquatique ou peut-être minérale. Une composition finissant toujours en construction dune épaisseur impalpable, indicible, fugitive. La toile fragment dun univers fruit en même temps que catalyseur dune avancée vers soi lautre, dedans dehors, ici ailleurs et, sans doute, jadis hier demain. Pris au sens de composition homogénéisante, centripète, le Tableau cède à une construction sérielle dun espace restant éminemment fluvial, éventé. Sans doute, est-ce là une quête expressionniste, lyrique et, indéniablement, mystique puisquélan de ce qui, malgré tout, se laisse capter et se projeter telle une « icône du cur » (Ibn Arabi). Abdelkader Chaoui Une calligraphie arborescente, densément expressionniste, ny a de cesse démerger présence (absence) telle la communauté des célèbres anonymes, hommes et femmes, dont le trait marquant se nomme prosaïquement (cliniquement) dans une série de sept portraits : « Difformité » (Acrylique sur toile : 38/46 cm, 2021). Titre qui en dit long sur la nature encore tendue au passé revisité désormais dans ce qui se décline : « Distance », « Nulle part », « Obscurité », « Un trou sans rail » et « Des yeux en blanc ». Un « nulle part » qui se révèle rythme et mouvement consonants et dissonants à limage dune « Mosaïque » (Acrylique sur toile : 42/90 cm, 2021) se dressant impassible, tendue et éruptive. La calli-choré-graphie dun écrivain-peintre se cherchant toujours avec passion parmi les fragments dun mi-lieu doù sénonce une matière-mémoire bâtie et improvisée, identifiable et inachevée, vouée à une impossible-possible réconciliation. Bernabé López Garcia La question nous semble être celle-ci : comment de nouveau
composer et construire en images et lettres une mémoire en mouvement,
la sienne et celle de la ville du Détroit ? Le beau bric-à-brac :
adresses, titres douvrages, numéros de téléphones,
dates de conférences, citations de propos de politiciens marocains
ou espagnol compose et construit ce qui immanquablement finit par faire
tache (blanche) dans un modèle quasiment « intouchable ».
Lécrivain, chercheur en histoire contemporaine du monde arabe,
sapproprie un genre tel un atelier expérimental qui, conjuguant
permanence et contingence, « éphémère »
et « éternel », savère encore
capable dune réelle hybridité générique
et thématique. Genre et support se révèlent, eux,
mi-lieu dune sobriété faite geste dun regard
hautement attentif à la diversité du « patrimoine »
architectural, celui datant notamment de la « zone internationale »
: une librairie, un café, une épicerie, une mosquée
ou une villa sont fragments dun paysage urbain pris dans les filets
dun résidant restant constamment « reporter »
objectif et il sensible au révolu, - le « bâti »
souvent menacé deffondrement, deffacement-, ainsi quà
lici et maintenant, lactualité dun pays, dune
ville et dun intellectuel de lentre les deux rives et du monde.
Saïd Messari Des cercles en bois de broderie sont également convoqués parmi dautres supports où prennent place, selon la même logique épigraphique : robinet, tajine, boîte de sardines, salamandre, ouvre bouteille, trois ampoules ébréchées et trouées composant une drôle de tête rimant avec une autre à côté « bourrée » de fragments de zelliges et de lettres tombées en ruines, outre une série de répétitions-variations autour dun objet emblématique : la théière, le récipient dun breuvage rituel convivial, populaire faisant écho au travail notamment de deux artistes installateurs, Mostapha Boujmaoui et Faouzi Laatiriss, qui consacrent aux verres de thé fabriqués localement une place réelle dans nombre de leurs installations. S.M fait partie de ceux qui nont cure des frontières entre Art et artisanat ; les « lanceurs dalerte » quant au sort des sources et des matériaux capables dirriguer, au présent, la (notre) mémoire sensorielle. La logique nommons-la géo-poétique des questions et des modes de recyclage et de bricolage dans et, surtout, hors tout confinement auto-suffisant, amnésique et séparé nommé Histoire, Identité ou encore Mot, Tableau ou Objet. A contrecourant donc du risque damnésie : volonté délibérée ou non, consciente ou non, violente ou non, de « plombage » et « moulage » définitifs du temps en tant que tel, la fabrique à luvre agit (et est agie) en micro-mausolée (musée) dont les composants matériels et immatériels, vérifiables, « archivés » et fictifs sont ceux dune archite(c)xture fixe, poreuse et mouvante, propice à une élégie moins commémorative que « célébrative », moins représentative que restauratrice dune matière mémoire composée mais, surtout, construite en jeu dassociations et de substitutions progressif, sans fin. Sans doute, chacun son bric-à-brac, chacun ses taches (blanches) dans limmaculée conception des modèles dits définitifs. Le choix récurrent du support papier blanc est ici geste plus quéloquent de la part du quêteur parlant dune « enfance » au sens de « recettes » et de « régime de mémoire». Calligraphie, broderie et gastronomie se découvrent chez Saïd Messari jeu dentremêlement visuel, tactile, olfactif et gustatif : la source dense, hybride à même de maintenir « pièce »-objet (souvenir) et mot-met (sensation) en état décart urgent, vital, entre, dun côté, ce que lon sent, ressent et, de lautre, ce que lon sait et, surtout, mémorise souvent sous la haute et arrogante contrainte dun (du) Lieu Commun érigé en prêt-à-porter, interchangeable. Rencontre entre travaux proches et hétéroclites, « Mémoire » est le titre ouvert, ambivalent dune exposition collective, «autochtone» et transfrontalière. Exposition-évènement mettant en résonance les matériaux dune « uvre » une et plurielle dévidence non-« finie » où chaque artiste déploie avec tact et force son « faire et ne pas faire système (Tableau) ». Hors toute séparation exclusive entre passé, présent et avenir, haut et bas, intérieur et extérieur, lettre et image, modèle et copie, chaque artiste, et compositionnel et associatif, met en avant une mémoire, au final, commune qui, non essentialisée ni définitive, reste images faites choses, gestes, blessures, souvenirs, saveurs, images, mots en attente et autres.
Abdelkader Chaui Bernabe Lopez García QUATREVIDEOS / QUATRE ATELIERS Chaui. le poète ! Les cheveux blancs aussi, la silhouette alerte et les gestes beaucoup plus nerveux, voire pressés. Il nous fait partager des peintures colorées, des formats modestes mais ...qui annoncent la couleur : du bleu, du vert, du rouge avec parfois des caractères. « Je, est un autre » phrase sur mesure pour Chaui qui est du Nord du Maroc, féru décriture, de politique, qui a payé le prix de lunivers carcéral et qui en peignant traverse le miroir de ses émotions et devient un autre ! de livres et des peintures. López García. Dabord, notre regard découvre Bernabe, ses cheveux blancs, sa gestuelle calme au milieu de ce grand salon, de ses mille et une gravures, de ses canapés profonds. Il savance vers une étagère et sempare dun carnet numéroté. Il louvre sur une double-page où le texte le dispute à un dessin à la plume dune finesse exquise qui représente les hauteurs de la Casbah et la station météorologique, puis dautres pages avec une demeure, des arcs, le Teatro Cervantes, les arènes, la librairie des Colonnes tout ceci indique un amoureux de Tanger et évoque pour moi, des gravures de Delacroix exposées actuellement au Musée Mohamed VI à Rabat. des livres et des croquis ! Prentice que nous montre la vidéo ? Deux femmes en tenue estivale, lune créatrice et lautre qui met son espace et sa logistique au service des artistes. Elena Prentice nous invite dans son atelier dédié à la peinture et aux livres. Noublions pas quElena Prentice est également éditrice. Ses peintures sont autant de cieux, de nuances, de variations qui rendent à Nuages de Django Rheinhardt qui nous murmure : « Sous le jour qui s'allonge Messari nous entraîne dans son atelier à Madrid, qui est vaste, bien rangé, on a le sentiment de cases. Lui aussi est du Nord du Maroc. Il travaille le papier, traité biologiquement et décline magiquement papier et relief. De la théière à des figures plus absconses en passant par des têtes, il nous enchante par la préciosité de son travail. Blanc, blanc vous avez dit blanc - Messari a voulu faire découvrir au public, les deux côtés du Détroit, à la fois lespagnol et le marocain par le dessin et la peinture à travers López García et Chaui, en toute modestie une carte blanche de la générosité.
La vie est un jardin borgien aux sentiers qui bifurquent mais qui parfois se retrouvent. Dans une croisée de cette ville de Tanger, nous nous sommes connus, nous qui écrivons ce texte, au travers dun ami commun, Alberto, qui a une contribution également dans ce recueil, même si nous savions déjà de nos existences par dautres amis. La vie dAbdelkader, de Bernabé et de Saïd, ainsi que nos propres vies, se sont déroulées à cheval entre le Maroc et lEspagne. Traverser le détroit de Gibraltar dans les deux directions nous a marqués, a été une constante et le sera toujours. Beaucoup de choses nous unissent, beaucoup de souvenirs. Jai connu Saïd à Madrid, au siège de lAssociation dAmitié Hispano-Arabe. Ce fut à loccasion dune exposition de ses illustrations du livre Yawmiyyat madina kana ismuha Beirut, de Nizar Qabbani, traduit en espagnol par Carmen, ma professeure darabe, et publié par CantArabia. Pendant les années 80, beaucoup de réunions avaient eu lieu à ladite association et dans les bars avoisinants. Depuis cette époque-là, jai la chance dêtre près de Saïd, de son art et de sa joie de vivre. Jai connu Saïd également à Madrid, mais notre amitié sest consolidée à Marrakech, dans une rencontre organisée par Rodolfo Gil, dans le cadre des commémorations du Ve Centenaire de 1492. Ce ne fut pas la ville rouge, mais Tétouan, une de mes villes dadoption, et celle de sa naissance, qui nous a unis réellement. Saïd y avait étudié à lÉcole des Beaux-Arts, et ma mère avait aussi fait ses premiers pas de peintre amateur dans cette institution. Tétouan et la peinture ont suffi sans compter avec son immense générosité, loyauté, sympathie et dévouement, ainsi que les rires, partagés avec Giovanna pour établir des liens damitié qui subsistent aujourdhui. Je fis la connaissance de Bernabé à peu près à la même époque que Saïd, mais à la Faculté de Philosophie et de Lettres de lUniversité Autonome de Madrid. Il était un professeur extrêmement dynamique qui fumait en classe et voyageait souvent au Maroc. Il mapprit lHistoire, mais il fut également un stimulant de ma vocation marocaine qui bouillonnait déjà en moi. Ce fut sur ses conseils que je partis à Fès pour apprendre la darija au Centre Culturel Espagnol, dirigé à lépoque par Cecilia. Bernabé minsuffla cette passion. Lévocation de Lorca fut ce qui éveilla mon intérêt de connaître Bernabé. «Cest le petit-neveu de Federico!», me disaient mes amis. Ce qui me surprit de ce professeur né à Grenade, comme le Poète, cétait son approche moderne de lenseignement du monde arabe, quil transférait des bibliothèques vers létude vivante des rues du Maghreb. Ses analyses de cette réalité sont toujours brillantes et éclairantes. Nous avons aujourdhui le privilège de jouir de ses dessins-notes de voyages quil a cumulés sur cette réalité vécue où se détache son affection pour la rive sud de la Méditerranée. Avec lui et Cecilia, nous avons partagé des moments tangérois inoubliables, souvent avec la présence de notre regretté Choukri. Abdelkader, je lai connu à Rabat, au siège du journal al-Ittihad al-ichtiraki. Bernabé mavait suggéré décrire un texte sur lUnion des Écrivains du Maroc. Au début des années 90, le président de lUnion était le directeur de la délégation de Rabat du journal, Mohamed Achaari, qui deviendra plus tard ministre de la Culture sous le gouvernement dalternance. Je suis donc allée pour linterviewer, et, en finissant, il ma dit : « Je vais te présenter Chaoui ». Le passé extrêmement dur dAbdelkader comme prisonnier politique ne correspondait pas à la candeur de son sourire. Quelques années plus tard, jécrirai un prologue à la traduction en espagnol de son roman autobiographique al-Saha al-sharafiyya. Je me souviens de lun de ces merveilleux diners organisés par Antonio Lozano, une autre présence qui survole ce projet, où javais conduit Chaoui, qui venait darriver à Madrid. Cétait au restaurant marocain juif, La Escudilla, où nous tavons rejoint, ainsi que Saïd et la tribu toujours changeante quAntonio réunissait autour de lui. Jai vraiment pris conscience des douloureuses années de plomb le matin où la police a fait irruption dans la salle de la Faculté des Lettres de lUniversité Mohammed V, où je débutais comme assistante dEspagnol dans les années 70. Du jour au lendemain, mon étudiant préféré, Mohamed Serifi, ne venait plus à mon cours. Petit à petit, jappris son emprisonnement avec dautres prisonniers politiques, comme Abdelkader. Lui, je lai connu plusieurs années plus tard, déjà libre, dans une rencontre à lEcole des Traducteurs de Tolède, parmi celles que vous organisiez, Miguel et toi, et qui ont donné tellement de fruits pour les échanges culturels. La découverte de sa traumatique privation de liberté à cause de ses idées fut pour moi un attrait pour vouloir faire sa connaissance. Plus tard, son humanité, son écriture, et, maintenant, sa peinture, font que je me sente fière de cette amitié, consolidée lorsquil séjourna à Madrid dans les années 2000. Et je connus Elena, linvitée dhonneur de cette exposition, au travers dune amie tangéroise très chère, Julia Snurmacher. « Cest une américaine qui publie une revue en darija, Khbar bladna », elle me dit un jour. Mon amour pour la langue de mon père, injustement privée daccès à lécriture, fut également un attrait pour faire la connaissance dune femme qui saventurait dans un projet si courageux. Plus tard, elle créa, conjointement avec Gustave de Staël, lui aussi dune lignée de peintres, la maison dédition tangéroise portant le même nom que la revue déjà disparue, qui réunit une abondante collection de livres, petits mais essentiels. Et, puis, finalement, jai découvert cette puissante et douce lumière des ciels quElena peint. Moi, je nai pas eu lopportunité de connaître personnellement Elena Prentice, mais nos chemins ont été sur le point de se croiser plusieurs fois. Je le sais. Et je souhaite vivement que la force de Saïd arrive à nous rassembler nous tous, à loccasion de cette insolite initiative marquée de sa personnalité : ouverte, intégratrice, pleine de lumière, de mots, de formes et couleurs, de générosité et de mémoire. Kandinsky a dit que Goethe a dit que la peinture doit trouver sa «
basse continue ». Ce rythme intense est celui qui semble unir ces
sentiers qui bifurquent et coïncident aujourd`hui, à Tanger,
et par la magie de lamitié.
Je vous invite, gens amoureux de cette ville, à maccompagner pour profiter avec moi des couleurs avec lesquelles ont créé certaines et certains artistes qui y ont passé une partie de leurs vies et aussi avec celles et ceux qui se promènent encore dans ses rues et continuent de créer, dans leurs toiles ou dans leurs costumes, des uvres qui nous plongent dans cette aura magique installée ici depuis des temps très anciens, et qui recherchent la complicité de nos yeux, de nos regards et aussi de nos sourires. Commençons la promenade. Entrer dans lespace qui fut le sanctuaire dun grand peintre qui vécut à Tanger à cheval entre les XIXe et XXe siècles nous permet de percevoir lodeur de la peinture à lhuile et le silence des longues sessions devant les modèles qui posaient dans ce studio. Cest un hôtel particulier où se concentre toute la magie des espaces bien conçus par les bâtisseurs des maisons de la médina, avec la cour centrale entourée dalcôves, sur plusieurs niveaux, se dirigeant vers la lumière. Il est facile, encore aujourdhui, bien des années plus tard, dimaginer la figure de Josep Tapiró debout, à côté de son chevalet, savourant la reproduction des détails des vêtements des mannequins ou des coiffures et les chapeaux des hommes. Aujourdhui, nous sommes encore beaucoup de visiteurs qui continuons à remarquer les présences éthérées avec des auras magnétiques et pleines de couleurs. Le damascène installé à Tanger - Hannibal Rinaldi rencontra le jeune peintre Mariano Bertuchi à Grenade alors quil nétait âgé que de 14 ans, et au moment où le jeune artiste lui dit quil aimerait beaucoup avoir une tenue typique du Maroc, M. Hannibal a eu lidée de linviter à passer quelques jours à Villa Eugenia, sa maison de Tanger. Cest là quest entré en scène Cupidon avec ses flèches damour et que Mariano sest emparé dEsperanza Chappory, une jolie jeune fille de 12 ans. Le chevalet du peintre a changé plusieurs fois de place dans limmense jardin de la maison, toujours avec sa bien-aimée comme modèle. Il la peinte à dos de son cheval, celui qui repose aujourdhui sous les fondations des énormes tours dappartements construites, et dont on entend encore les hennissements certains soirs quand la ville dort. Cest pourquoi aujourdhui encore, certains soirs, en descendant la pente de Marco Polo, je peux voir avec clarté les pinceaux et la palette de couleurs de Mariano Bertuchi. ( Les chroniqueurs mont appris que cet amour na duré que deux ans à cause du décès prématuré dEsperanza ). Percevoir lesprit dun peintre à travers quelquun qui porte son propre sang et qui plus est son portrait vivant, est lune des choses que Tanger peut moffrir chaque fois que le neveu dAntonio Fuentes est ici. Écouter mon ami Alfonso parler de la vie et de luvre de son oncle est synonyme de palper lessence de lun des plus grands peintres du XXe siècle ; cest être avec lui à Paris en train de prendre de leau-de-vie avec Picasso, cest revenir dans les salons de lHôtel Fuentes, cest rentrer furtivement dans sa maison/grotte/studio de la médina tangéroise et le voir peindre entouré de tableaux et dobjets, et profiter de ses élégantes manières dermite de bonne famille. Emilio Sanz de Soto nous racontait que le peintre offrait des craies en couleurs aux enfants de son quartier de la médina pour quils peignent sur le sol, et ensuite capturer ces dessins sur certaines de ses toiles ; cest pourquoi, aujourdhui, en me promenant dans ces ruelles, je peux sourire en revoyant ces dessins colorés. Je nai pas pu rencontrer Claudio Bravo, mais jai le bonheur dêtre ami avec lune de ses modèles, et elle ma raconté à quel point elle a été heureuse les jours où elle a vécu à Tanger alors quelle posait pour le grand peintre hyperréaliste. Quand je suis avec Alicia Aparicio et que je me délecte de son regard doux et de son port raffiné, je nai aucun mal à mimaginer que je suis le peintre chilien et je lui explique comment je veux quelle pose pour mon prochain tableau, alors que je la tiens par la main pour lemmener à lendroit où je lui demanderai de sallonger. Il sera alors temps de limmortaliser sur une toile qui sera toujours vivante et nous offrira toujours la lumière et les couleurs de Tanger. Cétait très beau de visiter Marguerite McBey dans sa maison de la Vieille Montagne, et de remplir ses salons aux couleurs de la nature tangéroise ; cétait le jour où deux amis mont invité à les accompagner dans un champ proche de laéroport de Tanger pour cueillir des fleurs afin de les offrir à la belle peintre américaine, leur amie, et veuve du peintre écossais James McBey. Nous avons fait dénormes bouquets de la fleur tangéroise par excellence iris tingitana et nous les avons offerts à Marguerite dans cette maison pleine de couleurs de ses tableaux et de ses pinceaux, éclairée de sa sereine beauté mûre, de son sourire doux et de son élégance. Je lai vue pour la dernière fois un matin à travers la vitre dun taxi, quand elle sest garée à côté de la porte de lhôtel El Minzah pour aller chercher le directeur, mon cher Philippe de Vizcaya, et lemmener pour rencontrer une vendeuse de pain du Marché Central. Jai eu le plaisir de discuter quelques fois avec le peintre tanjaoui
Pepe Hernández autour dun déjeuner ou dun dîner
chez des amis à Tanger ou à Madrid. Il adorait sa ville,
et il avait toujours une excuse pour y retourner et lorsquil ny
en avait pas, il en inventait une pour y aller avec sa bien-aimée
Sharon, qui aujourdhui encore discute avec Pepe et lui raconte des
choses de Tanger quil ne peut plus voir de ses propres yeux. Pepe
était le plus tangérois des tangérois avec lesquels
jai discuté, et son accent était propre à cette
ville, un espagnol méridional très spécial, et aussi
très coloré, que lon peut encore entendre aujourdhui
dans les rues de Tanger. Ses tableaux cachent les couleurs, et cest
nous qui devons deviner où il les voyait et où il voulait
quon les voie. Il y a eu plusieurs nuits où jai apprécié la discussion avec Larbi Yacoubi à Villa Tebarek Allah, la maison dUmberto Pasti et Stephan Janson dans la Vieille Montagne. Cétait enivrant de lécouter raconter les anecdotes et les histoires des costumes quil a conçus pour les films Lawrence dArabie, Le lion du désert, ou La dernière tentation du Christ ( entre autres ). Mais Larbi na pas seulement été un maître dans le mélange des textures, des volumes et des couleurs dans les tenues des personnages cinématographiques, car il le faisait aussi pour lui-même, chaque jour, en combinant les vêtements avec lesquels il assemblait son impeccable image de dandy. Travaille également avec beaucoup de maîtrise, dimagination et de créativité mon amie Salima Abdel-Wahab en tant que designer tangéroise qui, partant de designs et de tissus traditionnels marocains, nous fascine avec ses modèles modernes et révolutionnaires pleins de fraîcheur et de couleurs. Avec des fibres naturelles, des dessins millénaires et des couleurs de la nature la forêt, la mer, la terre, Salima recrée des kaftans, des jellabas, des tuniques, des sarouels, des gilets, des turbans, des ponchos, des kimonos et bien dautres vêtements qui nous proposent doser sortir du corseté. Ce nest pas pour rien que ses créations ont partagé des passerelles et des pages de magazines avec les meilleurs designers du monde. Un autre grand maître dans le maniement des couleurs, des broderies, des tissus et de la réinterprétation des vêtements classiques marocains auxquels il sait donner un air complètement contemporain est mon ami tangérois Manuel Batista Nieto, qui habille les dames et les messieurs les plus élégants et les plus stylés de Tanger. Reconnaitre ses vêtements quand il apparaît en traversant la place de Zoco Grande le gibraltarien Henry Sacramento habillé par Manolo, en allant à la terrasse du Cinéma Rif, est un cadeau pour les yeux sensibles à la beauté. Me croiser à la pente de la kasbah avec le peintre chilien Francisco Antonio Corcuera y Gandarillas, soi-disant «baron de Corcuera», est toujours une joie, car cest un homme au verbe facile et amusant, et lune des personnes les plus élégantes et les plus glamoureuses de Tanger. Corcuera, comme nous, ses amis, lappelons, vit entouré de couleurs : ceux qui ornent sa maison, ceux qui composent son costume et, surtout, ceux qui habitent son âme et il soccupe de reproduire dans ses tableaux, où règnent labstraction et les volumes. Tous les apprentis de gentleman nous regardons dans le miroir du baron de la peinture. Il reste encore à Tanger quelques dames et quelques messieurs qui ont vécu en direct les années mythiques de la ville ; jai la chance de connaître lun deux ex-boxeur , qui prend du plaisir depuis quil est jeune à sinventer des contes magiques, certains transcrits par le musicien et romancier américano-tangérois Paul Bowles, et qui maîtrise aussi lart de la peinture. Oui, je parle de mon ami Mohamed Mrabet, qui en plein âge mûr marche, gesticule et rit comme lorsquil avait vingt ans. Le peintre aime représenter dans ses uvres la même magie qui orne ses récits, formant ainsi un ensemble quasi inséparable de voix et de couleurs avec lesquelles il nous fascine. Joue aussi avec des textures et des volumes la peintre Carla Querejeta Roca lorsquelle exploite de vieux bois et bâches ramassés dans les rues ou en bord de mer et leur donne une nouvelle vie dans ses tableaux. Carla simprègne avant de créer, elle coupe, casse et déchire les matériaux avec lesquels elle entreprend tout de suite un voyage de reconstruction et de création dune nouvelle réalité. Cest une chance de la connaître et de profiter de son sourire tout en nous expliquant la genèse de ses uvres, dont beaucoup sont nées dans sa bien-aimée Tanger, ville où elle a vécu pendant un temps ; Carla est de Pampelune, mais tangéroise dadoption. Essentiellement tangérois, et en même temps universel comme les bons tangérois , cest mon ami peintre Ilias Selfati, un maître qui a partagé, et continue à le faire, ses jours entre Tanger, Madrid, Marrakech, New York, Casablanca et Paris. Cest un luxe, que japprécie, de rencontrer le peintre et de connaître le parcours de son uvre ; voir lévolution depuis ses premiers tableaux inspirés dimages des médinas marocaines jusquau mélange dabstraction figurative dominée par les ombres sur ses chevaux, ses insectes et ses pistolets, pour nous éblouir dun coup avec les couleurs de ses fleurs. De plus Selfati nous offre de temps en temps des séries de portraits, beaucoup de personnages tangérois, dans lesquels sont les visages qui nous transmettent la vie lumineuse de Tanger. Aujourdhui, ce sont trois les tangérois dadoption
qui nous invitent, grâce à leur hôtesse Aziza Laraki,
à regarder leurs uvres ; les deux aînés
arrivent par le biais du plus jeune ; les deux artistes non consacrés
montrent pour la première fois leurs images en public, et ils le
font sous le patronage dun artiste bien consacré, dun
ami, dun bon ami, dun grand peintre, dun homme heureux
Saïd Messari , qui partage son ubiquité
et ses amours citoyens entre Tétouan, Rabat, Brasilia, Tanger,
Reggio Calabria et Madrid. Cette fois, le peintre omniprésent cède les deux tiers de son rôle pour les offrir à deux bons amis : lhistorien Bernabé López García et lécrivain Abdelkader Chaui moi aussi, je profite de leur amitié et de leur bonhomie , dont les uvres graphiques se sont, jusquà aujourdhui, limitées au domaine privé, ne dépassant pas le premier cercle damis. Dans ces mêmes pages mon amie Malika Embarek, une de ces nombreux tangérois qui ne sommes pas nés à Tanger, nous parle de ces trois artistes. Elle nous transmet également les couleurs de cette ville chaque fois que nous lécoutons lire quelques extraits de luvre littéraire décrivaines ou décrivains tangérois et nous régale de sa douce voix et de son art déclamatoire. Je sais quil y a plus, beaucoup plus, de peintres et designers femmes et hommes qui, fascinés par la lumière de Tanger, ont décidé que notre ville bien-aimée soit lendroit pour développer leurs uvres, comme Eugène Delacroix, Henri Matisse, James McBey, Juli Ramis, Wynne Apperley... et dautres personnes créatives qui, nées là-bas, ont emporté avec elles ailleurs les couleurs de la ville pour composer avec eux dans leurs tableaux, comme le font Sebastián Camps à Malaga, Ibirico et Lydia Gordillo à Madrid, Mohamed LGhacham à Mataró... Les couleurs avec lesquelles ils ont joué et jouent les âmes de ces artistes flottent dans lair de Tanger ; il suffit dêtre vigilant pour les percevoir, les attraper et les jouir. Tanger, printemps 2021
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