Mémoire écrite, illustrée, méditée et stylisée
Exposition organisée par Gallery Kent
Tanger, octobre 2021


L’ exposition s’inscrit dans le cadre du Festival des Galeries de Tanger. La galerie Kent présente à cette occasion l’œuvre de Said Messari, qui vit et travaille à Madrid depuis des années, ainsi que celle des trois invités qui l’accompagnent à l’événement : l’éditrice Elena Prentice invitée d’honneur comme icône de la mémoire de Tanger, l’écrivain Abdelkader Chaui, et le chercheur Bernabé López García. Ils exposent pour la première fois leurs facettes artistiques, en tant que peintres et dessinateurs, et révèlent d’autres intimités créatives. C’est un projet qui associe les arts plastiques à la littérature, et vice versa, et il tourne autour d’un thème central : la mémoire. La mémoire écrite d’Abdelkader Chaui, la mémoire illustrée de Bernabé López Garcia, la mémoire à la recherche de soi-même d’Elena Prentice et la mémoire stylisée de Said Messari.

Les textes de Chaui sautent du papier de ses œuvres à la toile où la peinture se libère, inquiète, intime et très personnelle. Dans le trait calligraphique de ces textes et dans leurs entrelacs, les questions énigmatiques sur les textures et les gestes des couleurs trouvent refuge, communiquant les connotations les plus diverses.

Les carnets illustrés par López Garcia ont été de fidèles compagnons de son long parcours et de sa carrière académique, et pourtant, jusqu’à aujourd’hui, sa facette de dessinateur reste la plus méconnue de ses compétences. Ses dessins sont des confessions intimes encodées autour de l’orientalisme, de l’arabisme, du Maroc et du Maghreb... L’exposition de ses dessins portera tout particulièrement sur la vision du monde de Tanger.

La série de Prentice sur les horizons, où toujours le ciel rejoint la terre ou la mer. Et où l’interdépendance définit la lumière et donc les couleurs. Qui fait fondre la couleur dans le papier, elle nous donne la sensation de nous évader pour voler et « nous perdre dans l’infini de l’espace... »

Messari aborde dans cette exposition la mémoire de l’enfance, la littérature d’une époque, naviguant à travers de son iconographie, à la recherche d’identités qui depuis le présent renomment les souvenirs les plus anciens. Toutes les œuvres qui composent cette exposition ont été confectionnées de manière artisanale avec du papier fabriqué par l’auteur lui-même. Les techniques de l’estampage et de la sculpture s’y rejoignent, totalement soumises à la recherche et à l’innovation.
Gallery Kent



“ L’invisible ”
Philippe Guiguet Bologne

Chercher à percer l’invisible, et tenter d’évoquer l’indicible… C’est ce que se propose Gallery Kent avec l’exposition Mémoire écrite, illustrée, méditée et stylisée, organisée dans le cadre de la troisième édition du Parcours des arts, événement orchestré à travers toute la ville par l’Institut français de Tanger. Du 1er au 31 octobre, Gallery Kent présentera les œuvres de Saïd Messari, entouré de ses amis Bernabé López Garcia et Abdelkader Chaoui, rejoints par Elena Prentice : quatre artistes venant d’horizons pour le moins divers, qui permettront de célébrer l’internationalité pérenne de la cité du détroit.

Saïd Messari nous offre une vision du monde décidée à se défaire des contingences de la matérialité, sauf à la transcender. Le plasticien tétouanais, qui vit depuis de très nombreuses années à Madrid, où il a pu trouver toute la reconnaissance à laquelle un artiste peut aspirer, s’afficherait comme l’alter ego de notre sculptrice tangéroise Itaf Benjelloun. Les deux créateurs fréquentent les mêmes fantômes et possèdent le même talent pour s’en aller explorer les radicelles de la mémoire comme celles de l’oubli. Tous deux travaillent sur un même processus de la disparition du monde et, peut-être, éventuellement, sur celui encore de sa réapparition. Car ils donnent à dévoiler de la même façon qu’ils créent le voile. Un art de l’évanescence, qui trouve échos dans les œuvres sur la déliquescence et la finitude du plasticien soufi d’Assilah, Khalil El Ghrib. Quand ce dernier traite de la décrépitude et de la désagrégation du monde et des hommes, adresse prophétique qu’il répète depuis les origines de son art, nous rapportant les reliques qu’il a cueillies dans les rues et sur les murs de la médina de sa petite ville, Saïd Messari serait plutôt tenté d’arrêter le temps et d’installer le monde dans un suspens, une attente, sous cloche et dans la protection d’une coque ou d’une couche de gypse. Il fait œuvre de mémoire, à perpétuité. Son univers est pris dans une blancheur qui serait un signe de pureté et d’absolue neutralité, et celui d’une absence d’espace et de temps. Ses œuvres circulaires, comme autant de médaillons, dessinent des bulles de non-être, d’extraction de l’être des choses pour n’en dire que l’essence, où toute temporalité - et donc toute existence - serait effacée. Des bulles d’essentialité, de la même façon que les fantômes sont ce qui reste de l’âme en peine quand l’être aimé a disparu. Les profils que nous présente l’artiste, quelle que soit la matérialité qu’ils évoquent, défilent comme ceux des enfants sur un manège ou ceux de détenus à la promenade : la ronde annonce la répétition et son éternité. Différemment, ces profils dessinés d’un trait évoquent indiscutablement ceux des camées, sculptés dans la sardoine ou une coquille, de la même façon que l’on effeuille un palimpseste, que l’on époussette des restes de terre sur le chantier d’une fouille archéologique, que l’on épluche un fruit défendu : en demeurant à la quête du cœur des choses aussi bien que de leur mémoire. Ses tondi constituent les blasons d’une étrange héraldique, où les salamandres, qui défient le feu, traversent des mappemondes imaginaires ou des textes sacrés déconstruits. Ces camées, de ceux que l’on garde contre le cœur, ramènent celui qui les regarde au souvenir du profil de tout être aimé : Saïd Messari sculpte les bas-reliefs d’un monde pour nous en rendre le sentiment, la délicatesse, sorte de biscuits d’une précieuse porcelaine immaculée, modelés pour nous remémorer la valeur et la sacralité. Le plasticien sait conférer au monde tout son poids en trésors invisibles.

Nous connaissions Bernabé López Garcia pour le sérieux de ses publications et de ses recherches à l’Université autonome de Madrid, où il fut professeur jusqu’à sa récente retraite. Politologue spécialiste du Monde arabe et des migrations, il nous offre, à l’occasion de ce Parcours des arts, un accès à l’intimité de ses carnets de notes et de dessins, dans lesquels Tanger s’illustre pour le moins abondamment et avec virtuosité. Depuis de nombreuses années, Bernabé López Garcia tient ce journal d’esquisses et d’observations, constituant une impressionnante série de carnets, dont les nombreux volumes, maintenant archivés et numérotés, occupent un rayonnage entier de sa bibliothèque. L’intellectuel né à Grenade a ainsi composé un véritable trésor. Là où le chercheur se doit d’atteindre l’universalité du fait reconnu, quantifié et rapporté d’une façon aussi scientifique qu’il se peut, le diariste et le dessinateur exécutent un travail tout en subjectivité et en légèreté, qui interroge la contingence et la nonchalance, la délicatesse et la fluidité du temps, l’indicibilité de l’invisible. Un auteur de carnets de voyage est toujours un aventurier et un poète. Par cette œuvre intime, presque d’intériorité, Bernabé López Garcia rend encore clairement hommage à l’acuité du Delacroix de l’ambassade de Mornaix. À l’aune de ce magistral prédécesseur, il atteint l’exigence et l’énergie dont ont pu faire preuve d’autres illustrateurs, eux-aussi passés par Tanger, de Pierre Le Tan, dont la sagacité a si bien saisi la geste mondaine et les ridicules de la décadence tangéroise, à Patrick Martin, dont le regard sait définitivement capter l’âme des urbanités pittoresques, en passant par l’élégance de Joël Alessandra, dont le coup de crayon et les aplats d’aquarelle font montre d’une superbe et rare maîtrise. Bernabé López Garcia, tangérophile averti de longue date a, quant à lui, su pénétrer quelque chose de l’âme de la ville que peu d’artistes ont pu rapporter : une transparence de l’air, qui sans doute produit toute la singularité de cette fameuse lumière sur le détroit, et que notre dessinateur a capté et traduit grâce à la simplicité nerveuse de son trait. Un regard qui, sans doute involontairement, éthérise l’altérité, la défait de tout son poids et de la tentation du trait appuyé. L’illustrateur voyageant est tout sauf un caricaturiste. Comme nombre de ses pairs, Bernabé López Garcia élève l’art de l’esquisse à celui d’un humanisme.

Avec ses œuvres récentes, Elena Prentice atteint des sommets en matière d’aérianité. Au cours des années quatre-vingt-dix, par une forme de pointillisme abstrait et radical qu’elle produisait alors, au travers duquel elle nous offrait à contempler de grandes toiles représentant une pure lumière rendue par des points seulement, comme une pixellisation de la représentation pour la représentation elle-même, l’activiste culturelle américaine nous avait déjà acculés à de profondes interrogations : chacune de ses œuvre nous ramenait à un fragment, à une pièce, au fameux centimètre carré d’une toile de Georges Seurat ou de Paul Signac, considérablement grossi, passé à la loupe d’une forme de télescope Hubble de l’esthétique, le regard du peintre et sa prolongation dans le pinceau, rendu au monde pour ce qu’il est : un focalisation sur la pure peinture. Après cette expérience extrême d’éthérisation, Elena Prentice s’en est allée à la recherche d’une matérialité inqualifiable, celle des marbrures d’une forme de papier à la cuve, où par ses jaspures elle se permettait sa réponse à la célèbre coulure qui orne depuis quelques décennies maintenant les bouquets et les forêts de Cy Twombly : une façon honorable d’être de son temps et d’un citationnisme aux bonnes distances ; face à ces larmes de la peinture, l’artiste américaine répondait par l’abrupte lapidaire de ses moirures, par un vertige de la mémoire – nous ramenant à la couverture de nos livres reliés anciens – et du travail de la main, de l’artisan. La réponse de Tanger à Rome, de Boston à la Virginie ! Il s’agissait pour elle de dévoiler l’invisibilité de ce que l’on ne connaît que trop ; peut-être aussi de célébrer la beauté du geste que l’on ne maîtrise pas et qui laisse sa part au hasard ; mais encore de célébrer un hommage au papier en tant que support, dont la poétique hante le goût des plus littéraires entre les amateurs d’art : cercle dont se revendique l’artiste-éditrice. Aujourd’hui, quelques années après ce travail de marbrures, revenant à sa façon de vouloir percer les brouillards du pointillisme, Elena Prentice regarde vers le ciel, comme à la recherche si ce n’est d’une réponse, au moins d’une conscience, sans doute ce qui fait le plus défaut à notre époque. Elle dresse ainsi de pleines toiles nuageuses où, à la façon du récent travail de Damien Hirst avec ces cerisiers en fleurs, elle observe le vide, en rend les contours et tente de le faire parler. Y aurait-il un Dieu derrière ces nébulosités ? À chacun d’y trouver ce qu’il veut, bien évidemment, et c’est là que son art s’affirmera farouchement notre contemporain. Certains y découvriront encore la beauté de la lumière pour elle-même, d’autres celle de ses ombres, d’autres encore un sobre hommage au lyrisme de Rubens, ou pour les plus intrépides un clin d’œil vers l’énergie du geste du Tintoret... Il y a, dans cette quête à travers l’invisible et de l’invisible lui-même, le monde. Le monde entier. Et ses revers.

Abdelkader Chaui, quant à lui, œuvre dans les champs intangibles de la volonté de mémoire. Il appartient à la génération des émancipations coloniales qui, pour fonder et se prouver son identité, a dû se poser les questions d’Une mémoire de l’oubli, comme le souligna poétiquement Mahmoud Darwish, du Jeu de l’oubli à la façon si spirituelle de Mohamed Berrada ou celle de l’académique Passé enterré de l’istiqlalien Abdelkrim Ghallab : des problématiques de construction forcément contre l’occupation occidentale, politique et idéologique, que se posent très différemment les générations d’artistes montantes, nées mondialistes. Tout le répertoire des signes – un réel lexique – de l’œuvre picturale du poète Abdelkader Chaui renvoie d’ailleurs à ces heures de l’émancipation et des croyances en un monde perfectible, sémiographie qui nous ramène aux univers de Mohamed Kacimi, de Saad Ben Cheffaj et de Saad Hassani, bien évidemment, mais encore à ceux de Labied Miloud ou de Mohamed Bennani… Un monde en soi, qui fut une révolution et qui est maintenant devenu une tradition : celui des fondateurs de l’art moderne au Maroc. Le poète, qui se doit d’avoir été subversif, s’illustre aujourd’hui parmi ces pairs devenus des classiques. Cette œuvre picturale, qui fait appel aussi bien à la couleur de sa terre, prise entre les vert-de-gris du Jbel et les ocres du Moyen-Atlas, comme aux formes empruntées aux tatouages des aïeules et aux ornementations gravées sur les bijoux, ainsi que celles qui rehaussent les poteries de terre cuite ou les huis des maisons de pisé : tout un vocabulaire de signes qui affirme une matérialité de l’ancrage terrien, de la main qui travaille, de la nature et de la tradition au cœur du monde, quelles que soient les révolutions et ruptures à laquelle elle aura été soumise : la mémoire collective d’un Maroc millénaire, appréciée et retravaillée par un peintre de son temps. De la même façon que Saïd Messari impose une héraldique de son imaginaire, Abdelkader Chaui fonde le répertoire des signes de son propre grimoire : celui de l’émancipation et de la constitution identitaire. Étrangement, ses portraits comme ceux du Fayoum s’affichent avec une frontalité qui frôle l’impertinence : où tout est dans la puissance du regard. Les hommes peints par Abdelkader Chaui observent les hommes qui les observent, comme pour s’assurer qu’ils existent tout autant. Ils ont cette même façon directe, presque brutale, que le jeune Anuar Khalifi avait osée, imposée, au cours de l’une de ses dernières expositions tangéroise, Boys Don’t Cry. Les générations conversent et échangent, et l’imaginaire d’un monde meilleur – peut-être aussi sa mémoire - continue à se développer parmi tous les effondrements. La mémoire est invisible, le présent tout autant : finalement, seul l’engagement et la pratique que l’on en a, par l’ancrage qu’ils nous donnent dans le réel, sauront non seulement changer le monde, mais encore lui permettre de tenir debout. Notre temps a perdu l’éternité, mais il serait bien plus grave de dévoyer nos croyances en la perfectibilité de la condition humaine : voilà ce que nous raconte le poète Abdelkader Chaui, comme Bernabé López Garcia qui, a l’instar de son aïeul Federico Garcia Lorca, a su choisir le côté du monde qu’il voulait défendre, de la même façon que Saïd Messari participa à la révolution esthétique en marche dans son pays, se revendiquant ainsi d’utopies à réaliser. Elena Prentice, de son côté, regarde le ciel derrière les nuages et pointe ce qui nous manque. L’humanisme ne sera jamais un acquis.



“ Mémoire(s) d’oubli ”
Abdelkrim Chiguer

Ici, « intérieur » désigne les images prises dans le récit biographique ; « extérieur », celles qui restent en dehors du récit, soit en attente, soit autres.
Jean François Chevrier

Dans « Mémoire… », Elena Prentice, Bernabé Lopez Garcia, Abdelkader Chaoui et Saïd Messari, prenant le parti pris de rencontres et de croisements, dessinent, au présent, les matériaux d’une matière toujours aux frontières mobiles d’un entre-deux, d’une interzone : dedans-dehors, mémoire-oubli, qui, - n’en déplaisent aux mémoires (de l’)absolu(es)-, s’entête, malgré tout, à ne pas s’oublier. Entre Ciel, Terre et Vent (Elena Prentice), Tanger, Livres, Actualité et Delacroix (Bernabé Lopez Garcia), Calligraphie, Rosace et Portraits d’Anonymes Célèbres, (Abdelkader Chaoui), Objets, Mots, et « Recettes de mémoire » (Saïd Messari), s’énonce, mêmement-différemment, l’état d’une « peinture (qui) fait et ne fait pas système et se donne ainsi des chances de s’ouvrir à d’autres, à de nouvelles formes de culture et de pensée » (Marcelin Pleynet).

Un « faire système » et « faire (non)-système » qui renvoie, ici, à un acte de partage entre Intérieur : formes, couleurs prises dans une « grammaire » perspectiviste ou non, et Extérieur : lieux, micro-événements, objets, biographèmes….etc. Les matériaux d’une interzone improbable, expérimentale où se joue le devenir d’une matière mémoire singulière et plurielle, fruit et catalyseur d’une incessante et insatiable logique de composition : « Tableau » veillant de près sur son autonomie mais n’allant pas sans un effet d’écart, de poussée hors de lui-même, trace d’un logique de construction, restant, elle, travail d’un montage visuel et manuel car opérant sélection, prélèvement et agencement de matériaux hétéroclites : trauma, héritage, présent, amnésie, enfance… associés en vertu d’une grammaire faite successions,  substitutions et simultanéités. Du systémique et (non)-systémique en cohabitation sous hautes tensions à l’intérieur-extérieur de quatre micro-fabriques où tout se « bricole », se cherche, se bâtit en un mi-lieu où, force indomptable, irrépressible, la part d’oubli reste, malgré tout, aussi vivace et revigorante que celle du souvenir.
Elena Prentice 
Les séries sans titre d’E.P sont traces ténues et bellement têtues de toiles prises dans les souvenirs d’une histoire de la peinture désormais transfrontalière. Tout se meut en catalyseur de réminiscences d’un temps (espace) encore sensible, états polychromes s’associant, s’entremêlant, glissant délicatement les uns sur les autres. Du Turner et du Monet où toute velléité de figure(ation) s’est éclipsée définitivement ? Toujours en procès, l’œuvre de la peintre et fondatrice de la maison d’édition Khabar Bladna, « Les nouvelles de notre pays », artiste activiste de la darija,- « défense et illustration » de l’arabe non classique-, s’investit en diptyques, triptyques et autres formats de toiles qui, à chaque fois, imperceptibles paysages, vaguelettes et ondulations, excluant la moindre localisation, la moindre référence. Tout y est surgissement d’un univers dont la texture douce, fine et soyeuse émerge, affleure en silence : « Mon obsession, la lumière et le vent qui dessine l’eau» (2008).

Ce sont de fines surimpressions couleurs pastel jamais dégagées hors et loin d’une matière faite avancée, poussée vers un haut-bas ruinant, sans merci, toute fixité nommée Tableau. Tout se dilue, s’évapore ici en cinétisme couleurs et, par moment, noir et blanc. Désir d’effleurer, caresser la texture d’une matière épaisse autant qu’évanescente, florale, aquatique ou peut-être minérale. Une composition finissant toujours en construction d’une épaisseur impalpable, indicible, fugitive.

La toile fragment d’un univers fruit en même temps que catalyseur d’une avancée vers soi l’autre, dedans dehors, ici ailleurs et, sans doute, jadis hier demain. Pris au sens de composition homogénéisante, centripète, le Tableau cède à une construction sérielle d’un espace restant éminemment fluvial, éventé. Sans doute, est-ce là une quête expressionniste, lyrique et, indéniablement, mystique puisqu’élan de ce qui, malgré tout, se laisse capter et se projeter telle une « icône du cœur » (Ibn Arabi).

Abdelkader Chaoui 
Face aux souvenirs d’une mémoire carcérale, traumatique, celle-là même où le temps dut être « plombé », A.C, s’évertue, aujourd’hui, entre lettres et images, à creuser désenchanté mais heureux en direction d’un futur antérieur, celui d’un temps perdu et, sans doute, à retrouver, sans fin. Fait rare parmi les membres de la communauté des écrivains arabophones, Abdelkader Chaoui s’essaie, au présent, à l’ère du numérique, en écrivain expérimentateur, - hasard et/ou nécessité ?-, à un exercice de remémoration au plus près d’une matière - peinture à l’huile, acrylique, papier, tissu et Photoshop, à l’appui.

Une calligraphie arborescente, densément expressionniste, n’y a de cesse d’émerger présence (absence) telle la communauté des célèbres anonymes, hommes et femmes, dont le trait marquant se nomme prosaïquement (cliniquement) dans une série de sept portraits : « Difformité » (Acrylique sur toile : 38/46 cm, 2021). Titre qui en dit long sur la nature encore tendue au passé revisité désormais dans ce qui se décline : « Distance », « Nulle part », « Obscurité », « Un trou sans rail » et « Des yeux en blanc ». Un « nulle part » qui se révèle rythme et mouvement consonants et dissonants à l’image d’une « Mosaïque » (Acrylique sur toile : 42/90 cm, 2021) se dressant impassible, tendue et éruptive. La calli-choré-graphie d’un écrivain-peintre se cherchant toujours avec passion parmi les fragments d’un mi-lieu d’où s’énonce une matière-mémoire bâtie et improvisée, identifiable et inachevée, vouée à une impossible-possible réconciliation.

Bernabé López Garcia 
Faire mémoire de sa vie au jour le jour, au cœur et en marge d’une œuvre picturale et écrite, une œuvre mémoire (histoire) qu’est le Journal de Delacroix au Maroc (1832), telle nous semble être la vocation des compositions et des instantanés aquarélisés de Bernabé Lopez Garcia, du moins les travaux retenus à l’occasion, une dizaine ou presque d’un corpus de plus de 70 carnets. La note énoncée en marge de l’aquarelle intitulée : « Corniche atlantique 3 : Hommage à Delacroix (Extrait d’un Cahier de voyage N°41. Feutre 0.4 et aquarelles sur toile) laisse déduire un constat quelque peu distant et, peut-être, par moment amer lié à un sentiment de perte face aux mutations urbaines en cours à l’échelle de la ville du Détroit.

La question nous semble être celle-ci : comment de nouveau composer et construire en images et lettres une mémoire en mouvement, la sienne et celle de la ville du Détroit ? Le beau bric-à-brac : adresses, titres d’ouvrages, numéros de téléphones, dates de conférences, citations de propos de politiciens marocains ou espagnol compose et construit ce qui immanquablement finit par faire tache (blanche) dans un modèle quasiment « intouchable ». L’écrivain, chercheur en histoire contemporaine du monde arabe, s’approprie un genre tel un atelier expérimental qui, conjuguant permanence et contingence, « éphémère » et « éternel », s’avère encore capable d’une réelle hybridité générique et thématique. Genre et support se révèlent, eux, mi-lieu d’une sobriété faite geste d’un regard hautement attentif à la diversité du « patrimoine » architectural, celui datant notamment de la « zone internationale » : une librairie, un café, une épicerie, une mosquée ou une villa sont fragments d’un paysage urbain pris dans les filets d’un résidant restant constamment « reporter » objectif et œil sensible au révolu, - le « bâti » souvent menacé d’effondrement, d’effacement-, ainsi qu’à l’ici et maintenant, l’actualité d’un pays, d’une ville et d’un intellectuel de l’entre les deux rives et du monde.
Divers détails sont prélevés, lus, vus et commentés, restant, souvent, soulignons-le, sans liens explicites avec des aquarelles voulues datées et hors temps. S’y associent par moment, entre autres, les dernières « nouvelles » relatives à la question du Sahara et les décisions de l’O.N.U s’y rapportant avec un arpentage pictural, toujours fin, sobre et réminiscent face à qui, menaçant, toujours, de se voir ville en ruines ou encore clichés, fait effet d’un entre-deux d’autant plus revigorant que le journal-autoportrait à l’œuvre fait face à la fascination constructive qu’exerce encore le chef d’œuvre du maître en même temps que le devenir de la ville du Détroit, les « villes de la ville » (Abdelwahab Meddeb). Aussi ordinaire(s) que déroutante(s). Sans doute, la publication de « l’intégralité » des dessins et des notes pourra-t-elle éclairer davantage sur un projet, toujours en cours et, surtout, sur la manière avec laquelle s’y conjuguent modèle et copie, histoire, mémoire et oubli.

Saïd Messari 
Au cœur d’une nouvelle-ancienne héraldique, les travaux en cours de Saïd Messari sont fruits (et catalyseurs) d’une fabrique dans laquelle se frappent, se gravent, s’estampillent et se moulent en 2D et 3D monnaies, blasons et d’autres anciens-nouveaux bas-reliefs. Liste circonscrite et ouverte, ces pièces rendent hommage et aux écrivains célèbres quêteurs d’enfances (M.Choukri, A.Chaoui, M.Berrada) et aux anonymes que sont les enfants de rue : « Vendeurs de cigarettes en vrac» de jour comme de nuit, toujours à la Même-Place, «Finafslblassa» rapporte l’artiste archiviste  à travers l’un des fragments du cahier où ces derniers avaient un jour consigné sur sa demande en darija le quotidien épique qui est le leur.

Des cercles en bois de broderie sont également convoqués parmi d’autres supports où prennent place, selon la même logique épigraphique : robinet, tajine, boîte de sardines, salamandre, ouvre bouteille, trois ampoules ébréchées et trouées composant une drôle de tête rimant avec une autre à côté « bourrée » de fragments de zelliges et de lettres tombées en ruines, outre une série de répétitions-variations autour d’un objet emblématique : la théière, le récipient d’un breuvage rituel convivial, populaire faisant écho au travail notamment de deux artistes installateurs, Mostapha Boujmaoui et Faouzi Laatiriss, qui consacrent aux verres de thé fabriqués localement une place réelle dans nombre de leurs installations. S.M fait partie de ceux qui n’ont cure des frontières entre Art et artisanat ; les « lanceurs d’alerte » quant au sort des sources et des matériaux capables d’irriguer, au présent, la (notre) mémoire sensorielle. La logique nommons-la géo-poétique des questions et des modes de recyclage et de bricolage dans et, surtout, hors tout confinement auto-suffisant, amnésique et séparé nommé Histoire, Identité …ou encore Mot, Tableau ou Objet.

A contrecourant donc du risque d’amnésie : volonté délibérée ou non, consciente ou non, violente ou non, de « plombage » et « moulage » définitifs du temps en tant que tel, la fabrique à l’œuvre agit (et est agie) en micro-mausolée (musée) dont les composants matériels et immatériels, vérifiables, « archivés » et fictifs sont ceux d’une archite(c)xture fixe, poreuse et mouvante, propice à une élégie moins commémorative que « célébrative », moins représentative que restauratrice d’une matière mémoire composée mais, surtout, construite en jeu d’associations et de substitutions progressif, sans fin.

Sans doute, chacun son bric-à-brac, chacun ses taches (blanches) dans l’immaculée conception des modèles dits définitifs. Le choix récurrent du support papier blanc est ici geste plus qu’éloquent de la part du quêteur parlant d’une « enfance » au sens de « recettes » et de « régime de mémoire». Calligraphie, broderie et gastronomie se découvrent chez Saïd Messari jeu d’entremêlement visuel, tactile, olfactif et gustatif : la source dense, hybride à même de maintenir « pièce »-objet (souvenir) et mot-met (sensation) en état d’écart urgent, vital, entre, d’un côté, ce que l’on sent, ressent et, de l’autre, ce que l’on sait et, surtout, mémorise souvent sous la haute et arrogante contrainte d’un (du) Lieu Commun érigé en prêt-à-porter, interchangeable.

Rencontre entre travaux proches et hétéroclites, « Mémoire… » est le titre ouvert, ambivalent d’une exposition collective, «autochtone» et transfrontalière. Exposition-évènement mettant en résonance les matériaux d’une « œuvre » une et plurielle d’évidence non-« finie » où chaque artiste déploie avec tact et force son « faire et ne pas faire système (Tableau) ». Hors toute séparation exclusive entre passé, présent et avenir, haut et bas, intérieur et extérieur, lettre et image, modèle et copie, chaque artiste, et compositionnel et associatif,  met en avant une mémoire, au final, comm’une qui, non essentialisée ni définitive, reste images faites choses, gestes, blessures, souvenirs, saveurs, images, mots… en attente et autres.



“ Mémoire en quatre Fragments ”
Isabelle Merose-Kineast

Abdelkader Chaui
Il est né en 1950 à Bab Taza, dans la zone du Protectorat espagnol. Il y fit ses études primaires puis partit à Tétouan et Rabat.
Il s’est retrouvé dans les années de plomb et son esprit critique en souffrit dans sa chair. Son parcours de vie est celui d’un humaniste qui s’exprime à travers plusieurs livres dont Place d’honneur écrit en 1999, le Livre de la mémoire en 2015 et le Jardin de la dame en 2018. Il a été ambassadeur du Maroc dans plusieurs pays. Ses thèmes sont liés au rêve, à la mémoire et à l´oubli. Tour à tour traducteur, journaliste, écrivain. Une élégance poétique et une culture éclectique associées à une plume libre, audacieuse constituent sa signature. Il marque les esprits et est un de ceux qui ont donné leurs lettres de noblesse à la littérature marocaine tout en affirmant sa différence. Outre l’écriture, il peint depuis longtemps et son ami Said Messari a toujours essayé de le convaincre d’exposer. Avec Gallery Kent, une galerie du Nord, Said Messari a réussi à exposer ces portraits criant de vérité, torturés parfois. Abdelkader Chaui, c’est un visage bienveillant avec des cheveux blancs neigeux.

Bernabe Lopez García
Il est né à Grenade en 1947, diplômé de l’Université de Grenade et également de Fes. En qualité d’arabisant et de grand connaisseur du monde arabe, il est le digne représentant de cette période prestigieuse : Al andalus ! Spécialiste de l’Islam, de l’Orientalisme, de l’époque de la présence espagnole au Maroc, des relations Maroc-Espagne et également de Tanger, il a écrit de nombreux ouvrages, des articles dans des revues spécialisées mais il a aussi conçu d’innombrables carnets agrémentés de dessins à la plume sur Tanger, dignes de ceux de Delacroix. Des chroniques sur Tanger au temps de la guerre civile en Espagne, sur les migrations, sur les processus électoraux au Maghreb sont autant de sujets sur lesquels la plume de BERNABE s’est attardée.
Elena Prentice
Elena Prentice est née à Boston aux USA. Elle étudie à a Rhode Island School of Design et au Hopkins Center du Darmouth Collège puis emménage à Paris où elle peint et enseigne. Elle est à la fois d’origine américaine et russe, avec un grand père qui a été consul des USA à Tanger de 1930 à 1939 et un autre ancêtre, général en chef des armées du Caucase dans la Russie tsariste. Elena Prentice conserva des liens avec la ville du Détroit, où son grand père ancien Consul y prit sa retraite. Ainsi, il lui fut proposé à la fin des années 80 de prendre la direction de la Légation américaine pendant près de deux ans. Ce lieu regorgeait d’objets légués, d’une chambre dédiée à Paul Bowles et d’une magnifique bibliothèque ; Elena Prentice va dépoussiérer l’endroit et aidée des responsables de l’Institut français et italien, impulsera une vie culturelle. Puis elle repart à New York et y enseigne la peinture mais elle reste en contact avec Tanger. Elle y acquiert une propriété à la Vieille montagne sur les conseils de Joe Mac Philipps, directeur de l’Ecole américaine. A l’aube des années 2000, elle décide de s’installer à Tanger et d’apprendre l’arabe mais la question se pose : arabe ou darija – ce qui va l’inciter à fonder un journal en darija Khbar Bladna qui existera pendant cinq ans. Puis avec Gustave de Staël, elle deviendra éditrice. Outre, la peinture qui est son grand amour, elle voue une passion aux mots, aux alphabets et déclare « Lire est pour moi totalement magique, cela devrait être le premier des droits de l’Homme ». Fascinée par des cieux changeants, plutôt abstraite, Elena Prentice me rappelle Turner et sa recherche inlassable de la lumière. Elena Prentice a exposé depuis plusieurs années sur différents continents : aux USA, en Europe et en Afrique et plus d’un musée de par le monde a acquis ses œuvres. Elena Prentice est un être gourmand de la vie, tournée vers les autres, animée d’un grand désir d’aider et nourrie par ses racines multiples.

Said Messari.
Né à Tétouan, il étudie aux Beaux-Arts de cette ville puis parfait sa formation à l’Université Complutense à Madrid et décide de s’établir dans la capitale madrilène. Depuis 1982, il expose en Espagne, en France, au Maroc, en Italie en explorant la peinture, la gravure et en déclinant différentes techniques. A Madrid, il dispose de son propre atelier et réalise des éditions limitées pour ses donneurs d’ordre qui sont des banques, des entreprises et des particuliers. Il s’efforce d’avoir recours à des techniques jamais toxiques et respectueuses de l’environnement. Il modèle le papier, le peint, le grave, le met en scène pour des installations.
Il souhaite que la gravure trouve sa place au Maroc et l’exalte sous différentes formes. Il réalise fort bien la quadrature du cercle, tout en délicatesse. Said Messari, c’est la bienveillance, la douceur, l’élégance faites artiste. Ses mémoires de papier sont un hommage à la mémoire de ceux qui la perdent et cet emploi de la couleur blanche magnifie son œuvre en en soulignant toute la sobriété.

QUATREVIDEOS / QUATRE ATELIERS
Quatre vidéos ou quatre odes à des artistes espagnols, marocain, américain – ce qui est en soi un hommage à la culture marocaine, à Tanger, à ses couleurs, à ses cieux !

Chaui. le poète ! Les cheveux blancs aussi, la silhouette alerte et les gestes beaucoup plus nerveux, voire pressés. Il nous fait partager des peintures colorées, des formats modestes mais ...qui annoncent la couleur : du bleu, du vert, du rouge avec parfois des caractères. « Je, est un autre » phrase sur mesure pour Chaui qui est du Nord du Maroc, féru d’écriture, de politique, qui a payé le prix de l’univers carcéral et qui en peignant traverse le miroir de ses émotions et devient un autre !… de livres et des peintures.

López García. D’abord, notre regard découvre Bernabe, ses cheveux blancs, sa gestuelle calme au milieu de ce grand salon, de ses mille et une gravures, de ses canapés profonds. Il s’avance vers une étagère et s’empare d’un carnet numéroté. Il l’ouvre sur une double-page où le texte le dispute à un dessin à la plume d’une finesse exquise qui représente les hauteurs de la Casbah et la station météorologique, puis d’autres pages avec une demeure, des arcs, le Teatro Cervantes, les arènes, la librairie des Colonnes – tout ceci indique un amoureux de Tanger et évoque pour moi, des gravures de Delacroix exposées actuellement au Musée Mohamed VI à Rabat. … des livres et des croquis !

Prentice que nous montre la vidéo ? Deux femmes en tenue estivale, l’une créatrice et l’autre qui met son espace et sa logistique au service des artistes. Elena Prentice nous invite dans son atelier dédié à la peinture et aux livres. N’oublions pas qu’Elena Prentice est également éditrice. Ses peintures sont autant de cieux, de nuances, de variations qui rendent à Nuages de Django Rheinhardt qui nous murmure :

« Sous le jour qui s'allonge
s’estompe à l’horizon
un nuage s’étire sur son toit bleu
en passant il semble dire
un triste adieu »
Des livres, des peintures

Messari nous entraîne dans son atelier à Madrid, qui est vaste, bien rangé, on a le sentiment de cases. Lui aussi est du Nord du Maroc. Il travaille le papier, traité biologiquement et décline magiquement papier et relief. De la théière à des figures plus absconses en passant par des têtes, il nous enchante par la préciosité de son travail. Blanc, blanc vous avez dit blanc - Messari a voulu faire découvrir au public, les deux côtés du Détroit, à la fois l’espagnol et le marocain par le dessin et la peinture à travers López García et Chaui, en toute modestie une carte blanche de la générosité.



“ Souvenirs à deux voix ”
Malika Embarek López et Gonzalo Fernández Parrilla

La vie est un jardin borgien aux sentiers qui bifurquent mais qui parfois se retrouvent. Dans une croisée de cette ville de Tanger, nous nous sommes connus, nous qui écrivons ce texte, au travers d’un ami commun, Alberto, qui a une contribution également dans ce recueil, même si nous savions déjà de nos existences par d’autres amis.

La vie d’Abdelkader, de Bernabé et de Saïd, ainsi que nos propres vies, se sont déroulées à cheval entre le Maroc et l’Espagne. Traverser le détroit de Gibraltar dans les deux directions nous a marqués, a été une constante et le sera toujours.

Beaucoup de choses nous unissent, beaucoup de souvenirs.

J’ai connu Saïd à Madrid, au siège de l’Association d’Amitié Hispano-Arabe. Ce fut à l’occasion d’une exposition de ses illustrations du livre Yawmiyyat madina kana ismuha Beirut, de Nizar Qabbani, traduit en espagnol par Carmen, ma professeure d’arabe, et publié par CantArabia. Pendant les années 80, beaucoup de réunions avaient eu lieu à ladite association et dans les bars avoisinants. Depuis cette époque-là, j’ai la chance d’être près de Saïd, de son art et de sa joie de vivre.

J’ai connu Saïd également à Madrid, mais notre amitié s’est consolidée à Marrakech, dans une rencontre organisée par Rodolfo Gil, dans le cadre des commémorations du Ve Centenaire de 1492. Ce ne fut pas la ville rouge, mais Tétouan, une de mes villes d’adoption, et celle de sa naissance, qui nous a unis réellement. Saïd y avait étudié à l’École des Beaux-Arts, et ma mère avait aussi fait ses premiers pas de peintre amateur dans cette institution. Tétouan et la peinture ont suffi — sans compter avec son immense générosité, loyauté, sympathie et dévouement, ainsi que les rires, partagés avec Giovanna — pour établir des liens d’amitié qui subsistent aujourd’hui.

Je fis la connaissance de Bernabé à peu près à la même époque que Saïd, mais à la Faculté de Philosophie et de Lettres de l’Université Autonome de Madrid. Il était un professeur extrêmement dynamique qui fumait en classe et voyageait souvent au Maroc. Il m’apprit l’Histoire, mais il fut également un stimulant de ma vocation marocaine qui bouillonnait déjà en moi. Ce fut sur ses conseils que je partis à Fès pour apprendre la darija au Centre Culturel Espagnol, dirigé à l’époque par Cecilia. Bernabé m’insuffla cette passion.

L’évocation de Lorca fut ce qui éveilla mon intérêt de connaître Bernabé. «C’est le petit-neveu de Federico!», me disaient mes amis. Ce qui me surprit de ce professeur né à Grenade, comme le Poète, c’était son approche moderne de l’enseignement du monde arabe, qu’il transférait des bibliothèques vers l’étude vivante des rues du Maghreb. Ses analyses de cette réalité sont toujours brillantes et éclairantes. Nous avons aujourd’hui le privilège de jouir de ses dessins-notes de voyages qu’il a cumulés sur cette réalité vécue où se détache son affection pour la rive sud de la Méditerranée. Avec lui et Cecilia, nous avons partagé des moments tangérois inoubliables, souvent avec la présence de notre regretté Choukri.

Abdelkader, je l’ai connu à Rabat, au siège du journal al-Ittihad al-ichtiraki. Bernabé m’avait suggéré d’écrire un texte sur l’Union des Écrivains du Maroc. Au début des années 90, le président de l’Union était le directeur de la délégation de Rabat du journal, Mohamed Achaari, qui deviendra plus tard ministre de la Culture sous le gouvernement d’alternance. Je suis donc allée pour l’interviewer, et, en finissant, il m’a dit : « Je vais te présenter Chaoui ». Le passé extrêmement dur d’Abdelkader comme prisonnier politique ne correspondait pas à la candeur de son sourire. Quelques années plus tard, j’écrirai un prologue à la traduction en espagnol de son roman autobiographique al-Saha al-sharafiyya. Je me souviens de l’un de ces merveilleux diners organisés par Antonio Lozano, une autre présence qui survole ce projet, où j’avais conduit Chaoui, qui venait d’arriver à Madrid. C’était au restaurant marocain juif, La Escudilla, où nous t’avons rejoint, ainsi que Saïd et la tribu toujours changeante qu’Antonio réunissait autour de lui.

J’ai vraiment pris conscience des douloureuses années de plomb le matin où la police a fait irruption dans la salle de la Faculté des Lettres de l’Université Mohammed V, où je débutais comme assistante d’Espagnol dans les années 70. Du jour au lendemain, mon étudiant préféré, Mohamed Serifi, ne venait plus à mon cours. Petit à petit, j’appris son emprisonnement avec d’autres prisonniers politiques, comme Abdelkader. Lui, je l’ai connu plusieurs années plus tard, déjà libre, dans une rencontre à l’Ecole des Traducteurs de Tolède, parmi celles que vous organisiez, Miguel et toi, et qui ont donné tellement de fruits pour les échanges culturels. La découverte de sa traumatique privation de liberté à cause de ses idées fut pour moi un attrait pour vouloir faire sa connaissance. Plus tard, son humanité, son écriture, et, maintenant, sa peinture, font que je me sente fière de cette amitié, consolidée lorsqu’il séjourna à Madrid dans les années 2000.

Et je connus Elena, l’invitée d’honneur de cette exposition, au travers d’une amie tangéroise très chère, Julia Snurmacher. « C’est une américaine qui publie une revue en darija, Khbar bladna », elle me dit un jour. Mon amour pour la langue de mon père, injustement privée d’accès à l’écriture, fut également un attrait pour faire la connaissance d’une femme qui s’aventurait dans un projet si courageux. Plus tard, elle créa, conjointement avec Gustave de Staël, lui aussi d’une lignée de peintres, la maison d’édition tangéroise portant le même nom que la revue déjà disparue, qui réunit une abondante collection de livres, petits mais essentiels. Et, puis, finalement, j’ai découvert cette puissante et douce lumière des ciels qu’Elena peint.

Moi, je n’ai pas eu l’opportunité de connaître personnellement Elena Prentice, mais nos chemins ont été sur le point de se croiser plusieurs fois. Je le sais. Et je souhaite vivement que la force de Saïd arrive à nous rassembler nous tous, à l’occasion de cette insolite initiative marquée de sa personnalité : ouverte, intégratrice, pleine de lumière, de mots, de formes et couleurs, de générosité et de mémoire.

Kandinsky a dit que Goethe a dit que la peinture doit trouver sa « basse continue ». Ce rythme intense est celui qui semble unir ces sentiers qui bifurquent et coïncident aujourd`hui, à Tanger, et par la magie de l’amitié.



“ Des couleurs dans l´air tangérois ”
Alberto Gómez Font

Je vous invite, gens amoureux de cette ville, à m’accompagner pour profiter avec moi des couleurs avec lesquelles ont créé certaines et certains artistes qui y ont passé une partie de leurs vies et aussi avec celles et ceux qui se promènent encore dans ses rues et continuent de créer, dans leurs toiles ou dans leurs costumes, des œuvres qui nous plongent dans cette aura magique installée ici depuis des temps très anciens, et qui recherchent la complicité de nos yeux, de nos regards et aussi de nos sourires. Commençons la promenade.

Entrer dans l’espace qui fut le sanctuaire d’un grand peintre qui vécut à Tanger à cheval entre les XIXe et XXe siècles nous permet de percevoir l’odeur de la peinture à l’huile et le silence des longues sessions devant les modèles qui posaient dans ce studio. C’est un hôtel particulier où se concentre toute la magie des espaces bien conçus par les bâtisseurs des maisons de la médina, avec la cour centrale entourée d’alcôves, sur plusieurs niveaux, se dirigeant vers la lumière. Il est facile, encore aujourd’hui, bien des années plus tard, d’imaginer la figure de Josep Tapiró debout, à côté de son chevalet, savourant la reproduction des détails des vêtements des mannequins ou des coiffures et les chapeaux des hommes. Aujourd’hui, nous sommes encore beaucoup de visiteurs qui continuons à remarquer les présences éthérées avec des auras magnétiques et pleines de couleurs.

Le damascène — installé à Tanger —- Hannibal Rinaldi rencontra le jeune peintre Mariano Bertuchi à Grenade alors qu’il n’était âgé que de 14 ans, et au moment où le jeune artiste lui dit qu’il aimerait beaucoup avoir une tenue typique du Maroc, M. Hannibal a eu l’idée de l’inviter à passer quelques jours à Villa Eugenia, sa maison de Tanger. C’est là qu’est entré en scène Cupidon avec ses flèches d’amour et que Mariano s’est emparé d’Esperanza Chappory, une jolie jeune fille de 12 ans. Le chevalet du peintre a changé plusieurs fois de place dans l’immense jardin de la maison, toujours avec sa bien-aimée comme modèle. Il l’a peinte à dos de son cheval, celui qui repose aujourd’hui sous les fondations des énormes tours d’appartements construites, et dont on entend encore les hennissements certains soirs quand la ville dort. C’est pourquoi aujourd’hui encore, certains soirs, en descendant la pente de Marco Polo, je peux voir avec clarté les pinceaux et la palette de couleurs de Mariano Bertuchi. ( Les chroniqueurs m’ont appris que cet amour n’a duré que deux ans à cause du décès prématuré d’Esperanza ).

Percevoir l’esprit d’un peintre à travers quelqu’un qui porte son propre sang et qui plus est son portrait vivant, est l’une des choses que Tanger peut m’offrir chaque fois que le neveu d’Antonio Fuentes est ici. Écouter mon ami Alfonso parler de la vie et de l’œuvre de son oncle est synonyme de palper l’essence de l’un des plus grands peintres du XXe siècle ; c’est être avec lui à Paris en train de prendre de l’eau-de-vie avec Picasso, c’est revenir dans les salons de l’Hôtel Fuentes, c’est rentrer furtivement dans sa maison/grotte/studio de la médina tangéroise et le voir peindre entouré de tableaux et d’objets, et profiter de ses élégantes manières d’ermite de bonne famille. Emilio Sanz de Soto nous racontait que le peintre offrait des craies en couleurs aux enfants de son quartier de la médina pour qu’ils peignent sur le sol, et ensuite capturer ces dessins sur certaines de ses toiles ; c’est pourquoi, aujourd’hui, en me promenant dans ces ruelles, je peux sourire en revoyant ces dessins colorés.

Je n’ai pas pu rencontrer Claudio Bravo, mais j’ai le bonheur d’être ami avec l’une de ses modèles, et elle m’a raconté à quel point elle a été heureuse les jours où elle a vécu à Tanger alors qu’elle posait pour le grand peintre hyperréaliste. Quand je suis avec Alicia Aparicio et que je me délecte de son regard doux et de son port raffiné, je n’ai aucun mal à m’imaginer que je suis le peintre chilien et je lui explique comment je veux qu’elle pose pour mon prochain tableau, alors que je la tiens par la main pour l’emmener à l’endroit où je lui demanderai de s’allonger. Il sera alors temps de l’immortaliser sur une toile qui sera toujours vivante et nous offrira toujours la lumière et les couleurs de Tanger.

C’était très beau de visiter Marguerite McBey dans sa maison de la Vieille Montagne, et de remplir ses salons aux couleurs de la nature tangéroise ; c’était le jour où deux amis m’ont invité à les accompagner dans un champ proche de l’aéroport de Tanger pour cueillir des fleurs afin de les offrir à la belle peintre américaine, leur amie, et veuve du peintre écossais James McBey. Nous avons fait d’énormes bouquets de la fleur tangéroise par excellence — iris tingitana — et nous les avons offerts à Marguerite dans cette maison pleine de couleurs de ses tableaux et de ses pinceaux, éclairée de sa sereine beauté mûre, de son sourire doux et de son élégance. Je l›ai vue pour la dernière fois un matin à travers la vitre d›un taxi, quand elle s›est garée à côté de la porte de l›hôtel El Minzah pour aller chercher le directeur, mon cher Philippe de Vizcaya, et l›emmener pour rencontrer une vendeuse de pain du Marché Central.

J’ai eu le plaisir de discuter quelques fois avec le peintre tanjaoui Pepe Hernández autour d’un déjeuner ou d’un dîner chez des amis à Tanger ou à Madrid. Il adorait sa ville, et il avait toujours une excuse pour y retourner et lorsqu’il n’y en avait pas, il en inventait une pour y aller avec sa bien-aimée Sharon, qui aujourd›hui encore discute avec Pepe et lui raconte des choses de Tanger qu›il ne peut plus voir de ses propres yeux. Pepe était le plus tangérois des tangérois avec lesquels j›ai discuté, et son accent était propre à cette ville, un espagnol méridional très spécial, et aussi très coloré, que l›on peut encore entendre aujourd›hui dans les rues de Tanger. Ses tableaux cachent les couleurs, et c›est nous qui devons deviner où il les voyait et où il voulait qu›on les voie.
Amoureuse d’un immeuble, elle l’était, et elle l’est toujours, mon amie peintre Consuelo Hernández ; son amour est si grand que durant les années où elle a vécu dans cette ville, elle passa des heures et des heures à observer cet immeuble et à capter les énergies qui continuent à se dégager de ses murs, les sons qui continuent à s’échapper par ses fenêtres et les couleurs des décors des pièces de théâtre qui y sont représentées. Aujourd’hui encore, après avoir quitté notre ville bien-aimée, la peintre, dans ses quartiers de Madrid, continue de rêver du Teatro Cervantes tangerois, et continue de s’y rendre pour l’embrasser de ses yeux et puis, dans un petit-taxi, se promener jusqu’à un autre de ses coins de prédilection, lui aussi immortalisé dans ses tableaux — le Café Hafa —, pour se remplir de lumière tout en pensant aux couleurs de son prochain tableau et en rêvant du jour où ressuscitera son théâtre bien-aimé.

Il y a eu plusieurs nuits où j’ai apprécié la discussion avec Larbi Yacoubi à Villa Tebarek Allah, la maison d’Umberto Pasti et Stephan Janson dans la Vieille Montagne. C’était enivrant de l’écouter raconter les anecdotes et les histoires des costumes qu’il a conçus pour les films Lawrence d›Arabie, Le lion du désert, ou La dernière tentation du Christ ( entre autres ). Mais Larbi n›a pas seulement été un maître dans le mélange des textures, des volumes et des couleurs dans les tenues des personnages cinématographiques, car il le faisait aussi pour lui-même, chaque jour, en combinant les vêtements avec lesquels il assemblait son impeccable image de dandy.

Travaille également avec beaucoup de maîtrise, d’imagination et de créativité mon amie Salima Abdel-Wahab en tant que designer tangéroise qui, partant de designs et de tissus traditionnels marocains, nous fascine avec ses modèles modernes et révolutionnaires pleins de fraîcheur et de couleurs. Avec des fibres naturelles, des dessins millénaires et des couleurs de la nature — la forêt, la mer, la terre—, Salima recrée des kaftans, des jellabas, des tuniques, des sarouels, des gilets, des turbans, des ponchos, des kimonos et bien d’autres vêtements qui nous proposent d’oser sortir du corseté. Ce n’est pas pour rien que ses créations ont partagé des passerelles et des pages de magazines avec les meilleurs designers du monde.

Un autre grand maître dans le maniement des couleurs, des broderies, des tissus et de la réinterprétation des vêtements classiques marocains auxquels il sait donner un air complètement contemporain est mon ami tangérois Manuel Batista Nieto, qui habille les dames et les messieurs les plus élégants et les plus stylés de Tanger. Reconnaitre ses vêtements quand il apparaît en traversant la place de Zoco Grande le gibraltarien Henry Sacramento habillé par Manolo, en allant à la terrasse du Cinéma Rif, est un cadeau pour les yeux sensibles à la beauté.

Me croiser à la pente de la kasbah avec le peintre chilien Francisco Antonio Corcuera y Gandarillas, soi-disant «baron de Corcuera», est toujours une joie, car c’est un homme au verbe facile et amusant, et l’une des personnes les plus élégantes et les plus glamoureuses de Tanger. Corcuera, comme nous, ses amis, l’appelons, vit entouré de couleurs : ceux qui ornent sa maison, ceux qui composent son costume et, surtout, ceux qui habitent son âme et il s’occupe de reproduire dans ses tableaux, où règnent l’abstraction et les volumes. Tous les apprentis de gentleman nous regardons dans le miroir du baron de la peinture.

Il reste encore à Tanger quelques dames et quelques messieurs qui ont vécu en direct les années mythiques de la ville ; j’ai la chance de connaître l’un d’eux — ex-boxeur —, qui prend du plaisir depuis qu’il est jeune à s’inventer des contes magiques, certains transcrits par le musicien et romancier américano-tangérois Paul Bowles, et qui maîtrise aussi l’art de la peinture. Oui, je parle de mon ami Mohamed Mrabet, qui en plein âge mûr marche, gesticule et rit comme lorsqu’il avait vingt ans. Le peintre aime représenter dans ses œuvres la même magie qui orne ses récits, formant ainsi un ensemble quasi inséparable de voix et de couleurs avec lesquelles il nous fascine.

Joue aussi avec des textures et des volumes la peintre Carla Querejeta Roca lorsqu’elle exploite de vieux bois et bâches ramassés dans les rues ou en bord de mer et leur donne une nouvelle vie dans ses tableaux. Carla s’imprègne avant de créer, elle coupe, casse et déchire les matériaux avec lesquels elle entreprend tout de suite un voyage de reconstruction et de création d’une nouvelle réalité. C’est une chance de la connaître et de profiter de son sourire tout en nous expliquant la genèse de ses œuvres, dont beaucoup sont nées dans sa bien-aimée Tanger, ville où elle a vécu pendant un temps ; Carla est de Pampelune, mais tangéroise d’adoption.

Essentiellement tangérois, et en même temps universel — comme les bons tangérois —, c’est mon ami peintre Ilias Selfati, un maître qui a partagé, et continue à le faire, ses jours entre Tanger, Madrid, Marrakech, New York, Casablanca et Paris. C’est un luxe, que j’apprécie, de rencontrer le peintre et de connaître le parcours de son œuvre ; voir l’évolution depuis ses premiers tableaux inspirés d’images des médinas marocaines jusqu’au mélange d’abstraction figurative dominée par les ombres sur ses chevaux, ses insectes et ses pistolets, pour nous éblouir d’un coup avec les couleurs de ses fleurs. De plus Selfati nous offre de temps en temps des séries de portraits, beaucoup de personnages tangérois, dans lesquels sont les visages qui nous transmettent la vie lumineuse de Tanger.

Aujourd’hui, ce sont trois les tangérois d’adoption qui nous invitent, grâce à leur hôtesse Aziza Laraki, à regarder leurs œuvres ; les deux aînés arrivent par le biais du plus jeune ; les deux artistes non consacrés montrent pour la première fois leurs images en public, et ils le font sous le patronage d’un artiste bien consacré, d’un ami, d’un bon ami, d’un grand peintre, d’un homme heureux — Saïd Messari —, qui partage son ubiquité et ses amours citoyens entre Tétouan, Rabat, Brasilia, Tanger, Reggio Calabria et Madrid.
Ne vous arrive-t-il pas qu’à un moment de votre vie vous décidez que la personne qui jusqu’à alors n’était qu’une amie ou un ami monte de catégorie et devienne une sœur ou un frère ? C’est ce qui m’est arrivé avec Saïd, et nous sommes frères depuis de nombreuses années déjà, et je me compte parmi l’un des innombrables admirateurs de son œuvre, de ses couleurs et, en même temps, l’un des jouisseurs de son affection.

Cette fois, le peintre omniprésent cède les deux tiers de son rôle pour les offrir à deux bons amis : l’historien Bernabé López García et l’écrivain Abdelkader Chaui — moi aussi, je profite de leur amitié et de leur bonhomie —, dont les œuvres graphiques se sont, jusqu’à aujourd’hui, limitées au domaine privé, ne dépassant pas le premier cercle d’amis. Dans ces mêmes pages mon amie Malika Embarek, une de ces nombreux tangérois qui ne sommes pas nés à Tanger, nous parle de ces trois artistes. Elle nous transmet également les couleurs de cette ville chaque fois que nous l’écoutons lire quelques extraits de l’œuvre littéraire d’écrivaines ou d’écrivains tangérois et nous régale de sa douce voix et de son art déclamatoire.

Je sais qu’il y a plus, beaucoup plus, de peintres et designers — femmes et hommes— qui, fascinés par la lumière de Tanger, ont décidé que notre ville bien-aimée soit l’endroit pour développer leurs œuvres, comme Eugène Delacroix, Henri Matisse, James McBey, Juli Ramis, Wynne Apperley... et d’autres personnes créatives qui, nées là-bas, ont emporté avec elles ailleurs les couleurs de la ville pour composer avec eux dans leurs tableaux, comme le font Sebastián Camps à Malaga, Ibirico et Lydia Gordillo à Madrid, Mohamed L’Ghacham à Mataró...

Les couleurs avec lesquelles ils ont joué et jouent les âmes de ces artistes flottent dans l’air de Tanger ; il suffit d’être vigilant pour les percevoir, les attraper et les jouir.

Tanger, printemps 2021